DON CARLO à Venise – Commentaire de William Fratti – Le récit historique, empreint de fantaisie chez Schiller et Verdi, devient encore plus imaginaire chez Carsen –
Au cours de sa longue et incontestée carrière, Giuseppe Verdi a souvent retravaillé ses œuvres, ajoutant, supprimant, modifiant, parfois même quelques notes ou quelques mots. Don Carlo est sans doute l'un des plus retravaillés et Robert Carsen, en mettant en scène la version milanaise en quatre actes, profite de la cohésion et de la symétrie dramaturgique de l'œuvre pour mettre en valeur le caractère amlétique, ambigu et existentiel des personnages. Le drame de Schiller devient shakespearien et le grand-opéra devient tragédie lyrique. Le récit historique, empreint de fantaisie par Schiller et Verdi eux-mêmes, avec Carsen devient encore plus imaginaire, mais cette fois l'imaginaire est tellement réaliste qu'il fait presque peur. Le travail du réalisateur, comme déjà souligné à plusieurs reprises, est toujours élégant, fortement introspectif, extrêmement précis dans les mouvements, les gestes, la philologie, où rien n'est laissé au hasard, où même un petit geste prend une grande importance.
Tous les interprètes incarnent parfaitement l'idée de base du spectacle et suivent scrupuleusement le leitmotiv énigmatique laissant le public en haleine.
Piero Pretti est un Don Carlo excellent, généreux, doté de la juste épaisseur vocale typiquement lyrique, enrichie d'une excellente pointe, aux aigus vifs et brillants.
Il est flanqué de la très bonne Elisabetta di Maria Agresta, qui apparaît peut-être un peu’ fatiguée par rapport aux performances incroyables de Madrid, mais elle est toujours l'une des meilleures interprètes de Verdi du moment.
Julian Kim est un Rodrigo louable, qui est aussi particulièrement prodigue et rayonnant. A vouloir pinailler, on se serait peut-être attendu à une plus grande justesse dans les trilles.
Veronica Simeoni continue d'être une professionnelle de haut niveau, mais le rôle d'Eboli semble être au-delà de ses possibilités. Les notes sont à leur place et le phrasé est étudié, mais le timbre clair ne l'aide pas, ni dans les couleurs ni dans les accents, donnant l'impression d'un certain vide.
En revanche, Philippe II d'Alex Esposito est très positivement surprenant : bien qu'ayant récemment approché le chant de Verdi, il montre avec ce rôle formidable qu'il a toutes les cartes en main. En terme de vocalité on peut dire qu'il ne manque de rien. Et la poursuite du tournage de la pièce pourra lui donner cette plus grande recherche dans le mot et dans le phrasé pour en faire certainement l'un des meilleurs.
Marco Spotti est incontestablement un Grand Inquisiteur de référence, non seulement pour la qualité vocale, mais surtout pour l'expressivité.
Très bien aussi pour le frère de Léonard Bernard. Bravo le Tebaldo de Barbara Massaro, le comte de Lerma de Luca Casalin, le héraut de Matteo Roma.
Gilda Fiume est une voix du paradis du luxe, tout comme les députés flamands de Szymon Chojnacki, William Corrò, Matteo Ferrara, Armando Gabba, Claudio Levantino et Andrea Patucelli.
Le Chœur du Teatro La Fenice préparé par Claudio Marino Moretti est excellent.
Myung-Whun Chung dirige avec sa précision habituelle, démontrant une excellente dynamique et des accents vigoureux surtout dans la deuxième partie.
Guillaume Fratti
PHOTOS © Michele Crosera